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Amateurs·trices, l’important… c’est de participer !

Spectacle vivant Politique culturelle parti
Défiez-vous © Joseph Banderet

par Sonia Leplat

 

Est-ce que les amateurs·trices participent à la vie culturelle de leur territoire ?
De quelles façons ?
Est-ce qu’un participant est forcément un amateur ?
Une amatrice forcément une participante ?
Quelles seraient les différences ?

Si je vous dis pratiques amatrices, à quoi pensez-vous ?

Bon… et pratiques en amateur ?
Voyez-vous …la fête de la musique et cette ambiance cacophonique d’un bar à l’autre le long des places et des rues jonchées de verres vides et de poubelles pleines ?
Un conservatoire et ses élèves en train de faire leurs gammes ?
Une exposition de peinture dans la salle des fêtes ?
Une batucada sur le marché ?
Une chorale qui entonne un air populaire sous la direction gracile d’un·e chef·fe de chœur ? Un défilé de majorettes ? (On dit plutôt twirling bâton, maintenant)
Un chœur antique, ou coryphée, composé d’habitants·es du territoire, réunis à l’occasion d’une action culturelle pour participer au spectacle professionnel ?

Les politiques publiques utilisent le terme « amateur » pour qualifier toute personne qui (se) produit artistiquement de manière non professionnelle, notamment par opposition aux professionnels·les, rémunérés·es pour leur travail de création ou d’interprétation. Cette opposition se trouve soulignée quand, par exemple, amateurs et professionnels sont réunis sur un plateau de manière ponctuelle, ou sur la durée pour mettre en valeur un processus d’apprentissage de celles et ceux qui ne sont « pas encore » professionnels·es (dans le cadre d’écoles d’art, de conservatoires, ou de cours associatifs), ou encore pour nommer les bénéficiaires d’une action culturelle, même si, plus simplement, on parlera des bénéficiaires : élèves, classes, enfants, ou personnes âgées, détenus, ou public de tel ou tel dispositif d’accompagnement qui auront « reçu » une action culturelle donnée (éducation artistique et culturelle).

En règle générale, les manifestations culturelles visibles (concerts, spectacles, expositions) mettent en valeur des groupes qui se constituent de manière éphémère à l’occasion de ces actions et dans le cadre d’une référence professionnelle et donc légitime (la collectivité territoriale ou le théâtre organisateur, le conservatoire ou l’école, etc.). Le premier point commun entre ces personnes est bien souvent le territoire : habitant·es, usagers, élèves, …
tous bénéficient de services publics en vue d’un accès à la culture, plus précisément à l’offre culturelle.

Affirmer un engagement et une autonomie du citoyen, de la citoyenne, dans une pratique

Selon les territoires, selon les ambitions politiques, ces enjeux d’accès à la vie culturelle revêtent des formes diverses, plus ou moins participatives, pour les habitants·es. Au regard des droits culturels, il s’agit notamment du droit à participer à la vie culturelle de son territoire. Retenons ici la notion de participation, afin d’observer les conditions de cette participation, son degré possible et/ou souhaité, et les effets escomptés. Observons également comment le mot amateur permet peut-être de dépasser le cadre de participation prévu dès lors qu’il n’est plus employé pour distinguer l’habitant·e du/de la professionnel·le, mais pour affirmer un engagement et une autonomie du citoyen, de la citoyenne, dans une pratique.

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Participer, c’est quoi ?

Quand je participe à un dîner, a minima, j’y ai ma place autour de la table, j’y ai été invitée et je m’y suis rendue. Je peux aussi avoir contribué à la réalisation d’un plat, j’ai amené de succulents accras de morue maison, ou bien mon dessert botte-secrète. Enfin il m’a peut-être été donné lors de ce diner de rencontrer quelqu’un qui restera spécial ou d’avoir eu une conversation qui a transformé ma manière de penser, mon point de vue sur quelque chose.

« Participer, c’est prendre sa part, donner sa part, recevoir une part »

Joëlle ZASK envisage trois degrés de participation qui me semblent tout à fait éloquents en matière de pratiques artistiques : selon elle, participer, c’est prendre sa part, donner sa part, recevoir une part.(1)

Si je suis, par exemple, un·e élève de conservatoire, il est évident qu’il n’est pas toujours possible de participer et ce quels que soient les degrés attendus. Y-a-t-il un conservatoire sur mon territoire ? Ai-je connaissance de son existence ? Ai-je envie / la capacité de m’y inscrire ? Vais-je y trouver une place ? 

En admettant que oui, comment va s’exercer ma participation à la vie culturelle ? Va-t-elle dépendre de mon niveau ? Ma classe va-t-elle participer à des concerts ou spectacles dans l’auditorium ? dans la ville ? au-delà ?

Et si oui encore, que vais-je retirer de ces années de pratique ? Un plaisir certain qui va contribuer à m’épanouir, m’ouvrir aux autres et à mon art ? Est-ce que je vais devenir professionnel·le comme moins de 5% des personnes qui sortent du conservatoire ? Ou est-ce que comme beaucoup je ne vais pas à un moment arrêter complètement la pratique de mon instrument ou de la danse ?

 

On peut retrouver ces degrés de participation dans les trois piliers de l’Éducation Artistique et Culturelle qui propose quant à elle à s’adresser à tous et toutes en passant par l’école : la fréquentation dune œuvre (prendre sa place dans l’accès à l’offre) ; la pratique (tester une pratique relative à l’offre artistique, s’en saisir par le faire et éventuellement produire quelque chose) ; et restituer, c’est-à-dire donner à voir ce qu’on a fait personnellement (ou en groupe) de cette expérience vécue sous deux prismes. Bien-sûr tous les dispositifs n’ont pas les moyens d’une ambition de cet ordre, mais la question de la participation est ici aussi présente.

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Mais un amateur qui participe à un spectacle, participe-t-il pleinement ?

Dans le cas de plus en plus fréquent de « spectacles participatifs », le groupe de participant·es est constitué de manières différentes selon les besoins du spectacle et le message qui doit être véhiculé par la présence de ces non-professionnels·les au plateau : est-ce un groupe de jeunes ? de personnes de toutes les couleurs de peaux ? inclut-il des personnes en situation de handicap ? des corps très variés ? tous les âges ? uniquement des femmes ?

Il se contente aussi de prendre corps avec les personnes disponibles les soirs de spectacle et durant les heures d’ateliers qui précèdent, la vocation du groupe étant souvent d’incarner des « gens normaux » au plateau ou de faire « nombre ». Le cadre légal imposant que tout le monde soit payé dans une production professionnelle, à l’exception des amateurs qui jouent dans le cadre d’une action de transmission (moins de cinq fois, huit fois pour un groupe), et pour des raisons évidentes de mobilité et de disponibilité des amateurs, il est d’usage de composer des groupes différents au gré des villes où le spectacle est joué.

Cette modalité de travail prévoit une place pour les amateurs dès la création, et que cette partition déjà écrite puisse être jouée par toute personne, éventuellement dans la limite des quelques critères déjà évoqués (âge, sexe, couleur de peau, spécificité physique…).

Créer ensemble

Cette modalité de travail est à distinguer des créations AVEC les amateurs·trices, ou habitants·es, qui deviennent alors plus que de simples participant·es anonymes. C’est le cas de projets de territoire, qui s’inscrivent dans le temps long, permettent de fréquenter artistes et œuvres et de créer ensemble, de manière plus ou moins dirigée. Les amateurs·trices sont alors choisi·es en tant qu’expert·es de leur propre vie et amènent de la matière : paroles, expériences, appropriation ou création sur un sujet, expertise métier, rapport à l’espace, au temps. Il est dès lors beaucoup plus difficile de tourner le spectacle en le reprenant avec d’autres interprètes amateurs. Il y a une dimension éthique, un respect des identités culturelles et des patrimoines transmis, un respect du groupe, du temps long, et bien plus prosaïquement des droits d’auteur. Même si très souvent, pour des raisons de paternité de l’idée et de direction de projet, le ou la metteur·se en scène s’approprie le projet et en dépose les droits, ceux des amateurs sont à prendre en considération. Leurs histoires, leurs idées, se sont exprimées collectivement, certains fils ont été tirés, d’autres pas, des faits réels ont été augmentés en fiction… qui a vraiment écrit l’histoire?

Sans vouloir donner des sueurs froides à la SACD, il est à noter que de plus en plus d’artistes professionnels·les se posent ces questions et s’engagent sur ces temps longs de création qui ne sont pas les plus rémunérateurs ni les plus faciles à tourner.

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Être amateur, alors ?

Sur ces mêmes territoires, parfois complètement investies dans ces offres de pratiques et de participations, parfois pas du tout, d’autres personnes pratiquent. Elles peuvent être ou ne pas être spectateurs·trices, avoir été formé·es ou pas, à la marge ou très éloignées des institutions. Dans le domaine du spectacle vivant, ces groupes amateurs représentent des millions de personnes partout en France et sont parfois complètement isolés des autres initiatives, voire invisibles.(2)

Elles et ils se rencontrent souvent dans le cadre d’une pratique qui passe d’individuelle à collective.
Leur rencontre et le développement de leurs projets s’inscrivent dans un temps long.
Leur pratique peut être hebdomadaire mais aussi, souvent avec l’expérience, plus dispersée et intense au moment des créations.
Elles et ils travaillent ensemble, sont souvent exigeants et ne lésinent pas sur la convivialité.
Elles et ils cherchent des salles pour répéter, des salles pour jouer, postulent pour être programmés en festivals aiment se rencontre entre équipes amatrices mais ne savent pas souvent où.
Pour se rencontrer, se former, s’informer, il existe des réseaux thématiques théâtre, musique, un peu moins en danse…
Mais peu en matière de territoire.
Elles et ils ne proposent pas des cours, mais bien une pratique libre autonome, auto-financée.
Elles et ils sont majoritairement elles.

Chorales. Orchestres. Harmonies. Batucadas. Blocos.
Tango. Danses à deux. Country. Line-Up.
Troupes et compagnies de danse, de théâtre. De danses, de théâtres.
Défilés. Cosplay. Rassemblements divers et variés, qui doivent être pensés, organisés, financés, tout cela pas pure envie, par pur plaisir.
Amateurs, amatrices, mais aussi créateurs, créatrices, créatif·ves, fans de tout bord et de tous horizons qui se nourrissent mais aussi alimentent de leur expérience une forme artistique et/ou une culture de manière impliquée.

L’anthropologue et sociologue Fabrice RAFFIN rappelle la place centrale du « plaisir » dans les pratiques artistiques et plus largement culturelles. Dans l’héritage du philosophe américain de l’éducation, John DEWEY, Son travail explore les pratiques « populaires » et ce que l’institution nomme « loisir » à l’endroit de l’engagement et de l’énergie déployée pour pratiquer : apprendre, mais aussi transmettre et organiser, dans l’héritage et la transmission.

 

Conférence - Le plaisir à l’œuvre: quelles relations entre l’art et la vie ? donné par Fabrice RAFFIN en 2021 dans le cadre des rencontres "Amateurs, oui, et alors ?" organisées par la MPAA.

Les groupes de pratiques en amateur sont innombrables mais surtout innombrés

Le degré de participation en amateur est souvent intense car rien n’est prévu pour faciliter leurs tâches.

La plupart des territoires ne recensent pas les pratiques en amateur. Il est plus souvent demandé aux Directions des Affaires Culturelles de concevoir et promouvoir des événements pour le « public » que de valoriser les pratiques existantes des personnes en présence.

Les groupes de pratiques en amateur sont innombrables mais surtout innombrés, n’ont pas d’espace, pas de légitimité autre que personnelle ou locale, ont peu d’instance de représentation.

Ils sont pourtant à la fois des habitants·es, des élèves, des travailleur·euse·s, des citoyens·nes, des électeurs·trices, etc.

Où le plaisir est le moteur et la rencontre une condition

En dehors des réseaux qui apportent des clés de structuration et offrent un peu de visibilité, beaucoup de ces pratiques se placent dans les interstices, à côté des cases, et pas dedans. Elles questionnent les modèles professionnels de productions artistiques et de pratiques culturelles. En dehors des champs « académiques » (les pratiques de musique, théâtre ou danse telles que les incarnent les institutions), une multitude de pratiques nourrissent et épanouissent celles et ceux qui les portent. Folkloriques, familiales, militantes, de rue, informelles… À Paris, il est des lieux où le chant traditionnel chinois rencontre des clubs d’accordéon, qui eux-mêmes fréquentent du voguing et de la K-Pop, où les blocos flirtent avec les milongas, au son des chorales queer…

Des lieux où les traditions côtoient l’invention perpétuelle, des organisations où l’adaptation et l’agilité sont les maitres mots, où le plaisir est le moteur et la rencontre une condition.

Alors, oui, cela pose des problèmes : de place, de son, mais aussi, pour nos institutions, de classification d’appellation. On touche au lien avec le cultuel, le sectaire, on a des débats d’idées et de valeurs…

Et alors ? Sans apporter de réponses manichéennes, il est peut-être temps que l’institution prenne en compte qu’elle ne prend pas tout en compte. Elle n’en a pas les moyens et de ce serait de l’hégémonie.

Et si c’était l’occasion de réviser notre conception de la culture et de nous décentrer ?

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1 Joëlle ZASK, Participer. Essais sur les formes démocratiques de la participation, Paris, Le Bord de l’eau, 2011, 200p.
2 les pratiques autonomes avec adhésions et référencement sont essentiellement comptabilisées par les fédérations, telles que la FNCTA (1700 troupes de théâtre référencées, 20 000 licencié·es) ou encore les nombreuses fédérations valorisées par Musique en territoires qui estime à 3,5 millions le nombre de choristes réguliers en France (sondage IFOP 2020).

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